"La chambre confinée" (36) : Adrien MASSET "une épidémie, l'égalité de la condition humaine"

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Avocat aux Barreaux de Verviers et de Liège, spécialiste en droit pénal et droit pénal des affaires, le hervien Adrien Masset est aussi professeur extraordinaire à la Faculté de Droit de l’Université de Liège et au Tax Institute de HEC-ULg. Il a été, entre autres, expert auprès de la Commission d’enquête parlementaire bis dite «des tueurs du Brabant wallon». Le confinement et la profession d’avocat, l’épidémie et la limitation temporaire de certaines libertés publiques, quelques thèmes abordés lors de cette « chambre confinée», épisode 36.

-Adrien Masset, comment vivez-vous cette période de confinement ?

Ces deux mois de confinement sont vécus dans l’ambivalence : d’une part, l’inquiétude pour soi et pour les autres, des images d’actualité catastrophique, des scènes de découragement et de perte de sens pour beaucoup, des scènes d’extrême mobilisation de plusieurs secteurs, notamment hospitaliers, la visibilité accrue de certaines professions si essentielles et pourtant injustement négligées, et d’autre part, le retour à une vie plus régulée, plus calme, moins dans l’urgence et dans la trépidation. Ce constat fait, il demeure que ma famille et moi sommes confinés dans des conditions très favorables : au calme, à la campagne avec jardin, sans perte substantielle de revenus et en bonne santé. Mais l’incertitude pour le monde de demain, celui de nos enfants et petits-enfants, est bien présente et cette pandémie vient ajouter au tableau déjà gris du monde que nous leur laisserons.

-C’est évidemment une période très difficile pour la profession d’avocat, qui requiert le contact ?

Traditionnellement, l’avocat consulte, conseille et défend : le contact fait naître tant la confiance entre le client et l’avocat que la compréhension entre l’avocat et le juge. La consultation en présentiel est suspendue depuis deux mois au bénéfice d’entretiens téléphoniques ou en vidéo-conférence. Pour les clients détenus, c’est très compliqué. Le conseil peut être donné par différents vecteurs de communication et pour ce qu’il en est de la défense devant les tribunaux, seules les causes urgentes ont été retenues. Les avocats aussi rangent leur bureau, mettent de l’ordre, rattrapent le retard dans certains dossiers, font des recherches ou lectures juridiques plus avancées.

-Pour vous, une épidémie, c’est....

Une épidémie, c’est l’égalité de la condition humaine : tous, puissants, riches ou misérables, nous y sommes exposés.

-Quel doit être, selon vous, le degré de prévoyance de l’Etat, face à ce que l’on appelle aujourd’hui "les cygnes noirs" ?

Notre génération en Europe occidentale est la seule à n’avoir connu ni de guerres ni de catastrophes naturelles majeures, comme tremblements de terre ou tsunamis. Ce sont les systèmes politiques qui ont fait les valeurs démocratiques dont nous bénéficions aujourd’hui et nous voudrions que l’Etat nous protège de tout, tout le temps et au moindre coût pour le citoyen. Et cependant, n’oublions pas que 15 % de la population belge vit dans un risque de pauvreté et qu’il y a 10 % d’analphabètes : lutter contre ces phénomènes honteux relève du champ obligatoire du prévisible. Affrontons d’abord ce volet prévisible avant de vouloir s’attaquer aux cygnes noirs, expression de l’imprévisible.

-On voit, en France, des citoyens attaquer le Premier Ministre et l’ancienne Ministre de la Santé. Juridiquement, où commence et où s’arrête la responsabilité éventuelle du polititien ?

Votre question fait le lien avec la précédente. Ne pas prévoir ce qui est prévisible est une faute, alors que ne pas prévoir l’imprévisible n’en est pas une. Nous sommes dans des cultures où le bouc émissaire a encore de l’avenir, où l’on désigne facilement un responsable, avec un haut degré de versatilité ; il suffit, en Belgique, de penser à l’appréciation portée sur la Ministre De Block, auparavant presque femme de l’année et aujourd’hui totalement déconsidérée.

La responsabilité politique se juge dans l’isoloir, lors des élections, et, au passage, rappelons-nous que nous sommes toujours sans gouvernement de plein exercice. La responsabilité pénale ou civile se juge dans les tribunaux : en matière d’épidémie, la propagation du virus du sida a donné lieu, en France pour l’essentiel, à cette mise en cause, sans succès, dans le cadre du scandale du sang contaminé pointant à la fois des défaillances fautives dans les secteurs médicaux, politiques et administratifs sur fond de choix financiers. A n’en pas douter, le Parlement belge s’intéressera tôt ou tard à la gestion de cette crise au travers d’une commission d’enquête parlementaire.

-Est-ce que cette épidémie et ce confinement vont induire des changements durables pour votre profession ?

On peut le penser, en termes, par exemple, de réunions virtuelles pour des expertises judiciaires, des réunions avec des clients, un recours accru à la procédure écrite. A ce propos, des audiences de plaidoiries en vidéoconférence n’ont pas la cote dans la profession, et certainement pas dans les dossiers au pénal : c’est que la dynamique d’une audience, pour le juge comme pour le prévenu et son avocat, ne se résume pas à ce qui se dit : l’interaction est au centre du processus judiciaire.

-Vous êtes aussi professeur d’université, là aussi faut-il s’attendre à des changements notables ?

Les cours sont déjà semestrialisés et les enseignements du second semestre ont été, pour leur seconde moitié, donnés en virtuel, le plus souvent via podcasts. Les équipes techniques et administratives ont été très réactives pour offrir des outils performants pour soutenir ce virage numérique, avec le handicap de ne pas «sentir» son auditoire et réexpliquer ce que l’enseignant voit bien ne pas être compris. Ce n’est pas l’idéal pour les étudiants dont la vie estudiantine, avec ses atouts et ses faiblesses, est bien écornée. La situation n’est pas facile pour eux, même si le corps académique et scientifique est très disponible et bienveillant.

-Les examens, cette année... par vidéo-conférence ?

Pour les grands auditoires, ce sont des QCM ou des examens écrits sous diverses formes à passer de chez soi derrière son ordinateur. Pour les auditoires réduits, ce sont plutôt des examens oraux en vidéo-conférence. Mais pour chaque formule, c’est le stress du problème technique.

-Quelle réflexion avez-vous sur les limitations de liberté dues aux mesures de lutte contre la pandémie ?

Les mesures, évidentes et nécessaires, ont été prises par des collèges de personnes qui n’ont pas, sauf pour les tenants de la théorie du complot, d’agenda caché pour imposer un état liberticide.

-André Comte-Sponville dit : "je préfère avoir le Covid19 dans un pays libre qu’être bien portant en Chine". Vous en pensez quoi ?

La vie n’est pas faite que de choix. Est-ce vraiment choisir entre la peste et le choléra ? Avoir le Covid19 et être intubé, sédaté, sous respirateur ou sous réanimateur vous donne peu l’occasion de philosopher, même dans un pays libre. A voir certains reportages, le sort de laissés pour compte infectés à New York, ville d’un pays libre, ne me paraît guère enviable. Il y a des infectés en pays libre qui survivent mais il y a aussi des chinois heureux et ils ont le droit d’avoir ce sentiment.

-Qui vous inspire en cette période ?

Tous ceux qui en ont vu bien d’autres. Au final, les contrariétés vécues actuellement à mon niveau sont roupie de sansonnet par rapport aux drames que vivent certains, de tout temps et en tout pays.

-Que voyez-vous de votre fenêtre ?

Les verts pâturages du pays de Herve.

-Une lecture à recommander pour la période de confinement ?

"L’étranger" de Camus. La condition humaine y est analysée, l’auteur lui-même pensant que l’absurde naît de la confrontation de l’irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme.

-Le Covid19 et les prisons : on n’en n’a pas beaucoup parlé...

Les prisons n’intéressent personne et chacun feint de croire en leur efficacité. Il y a eu quelques assouplissements et remises en liberté provisoire. La situation est très difficile en l’absence de visites familiales depuis deux mois. Cela m’énerve quand j’entends dire qu’ils n’ont pas à se plaindre. La peine en prison doit se limiter à la privation de liberté pour les personnes qui ont été jugées coupables, sans ajouter d’autres privations, mais ici elles tiennent à des impératifs sanitaires bien compris.

 

Propos suscités par Urbain Ortmans et diffusés le 17 mai 2020.

 A revoir : https://www.vedia.be/www/_l_album_adrien_masset_avocat_diffuse_le_28_02_2011_-6592-58-89.html&id=6592

 

 

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