Philippe Lamair est né à Verviers. Il a 67 ans. Licencié en Histoire, ancien enseignant, il a passé une grande partie de sa carrière comme journaliste à la RTBF. A la retraite, il est toujours actif en réalisant des documentaires surtout en République Démocratique du Congo. Le prochain, «Au service des Virunga», tourné en février, devrait sortir fin de cette année. Ce soir à 20 heures 30, Vedia diffuse son autre documentaire tourné dans la région : «Destins croisés».
-Philippe Lamair, vous faites ce soir un beau cadeau aux téléspectateurs de Vedia : la diffusion de votre film “Destins croisés” : une histoire d’amour de l’autre siècle, à partir de lettres que vous avez retrouvées chez votre maman. Parlez-moi de cette aventure…
Il s’agit de lettres découvertes à Membach dans le grenier familial, par ma maman, fin des années 60 et que j’ai retrouvées dans ses papiers après qu’elle ait été placée dans une maison de retraite. C’est la correspondance d’Octave, un garde-chasse du roi Albert Ier et d’Hélène, la femme de chambre de la comtesse d’Asch, une des plus grosse fortunes de Belgique. Nous sommes juste avant la guerre de 14-18.
J’ai promis à ma maman d’enquêter sur ce couple du temps passé et de réaliser un film. Elle est décédée avant le tournage mais elle a pu vivre les premiers pas de l’enquête. Ce projet s’est concrétisé grâce à des amis qui ont soutenu le film financièrement ou y ont participé bénévolement. Sans eux, le film n’aurait pas vu le jour.
-On a un peu le coeur serré en en discutant, car Octave, il y a un peu plus de cent ans, est mort de la grippe espagnole…
Oui Octave meurt à Membach, le 2 décembre 1918, le même jour qu’Edmond Rostand l’auteur de "Cyrano de Bergerac" qui décède à Paris de la même maladie.
-Pour produire votre documentaire, vous avez bien sûr enquêté sur l’époque : quel lien peut-on faire entre l’épidémie de la grippe espagnole et celle du coronavirus ?
Les deux sont des pandémies qui se sont répandues comme des feux de brousse et ont touché tous les continents. La grippe espagnole fait son apparition en Europe au printemps 1918. Elle est apportée par un contingent de soldats américains provenant du Kansas et fait rapidement de nombreuses victimes. Pour ne pas démoraliser l’opinion après 4 années de guerre, la censure interdit que l’on en parle. L’Espagne, neutre, est le premier pays à poser des questions sur ce fléau d’où le nom de «grippe espagnole». La pandémie fera entre 30 et 50 millions de morts. Le dernier décès est enregistré en 1921. L’état de santé des populations européennes après quatre ans de conflit et de privations ainsi que le manque de connaissances médicales à l’époque expliquent le nombre de victimes.
Aujourd’hui, la mobilisation mondiale, les progrès de la recherche médicale et des soins de santé dans la plupart des continents nous font espérer que la pandémie du coronavirus n’atteindra pas l’ampleur de la grippe espagnole.
-Comment passez-vous vos journées en confinement ? Quels sont vos rites ?
Je garde mes habitudes au quotidien avec une différence de taille, le confinement et donc beaucoup de coup de téléphone pour maintenir des contacts sociaux. Plus de JT et de lectures de journaux. Et tous les jours à 20h, un nouveau rite, celui d’applaudir depuis mon balcon ceux qui luttent contre ce coronavirus.
-Qu’est-ce que cela a changé pour vous, l’épidémie que nous traversons ?
Confiné chez moi, je me sens complètement impuissant. Je ne peux qu’admirer ceux qui, à tous les niveaux, combattent la pandémie. Le personnel médical mais aussi les héros de l’ombre, comme les éboueurs, les caissières, les routiers etc. Tous ceux qui permettent à notre société de résister et qui nous donne l’impression de vivre «normalement».
Le Covid-19 nous pousse à la réfléchir sur notre mode de vie, le système économique, la globalisation, la fragilité d’une Europe désindustrialisée et de plus en plus dépendante de la Chine. Il suffit de quelques grains de sable et tout s’enraye…
D’un autre côté, je m’émerveille de la mobilisation et du savoir-faire de nos scientifiques et chercheurs qui dans différents domaines s’échinent à trouver des solutions pour combattre la pandémie. Nous avons les cerveaux et les bras. Il nous reste à construire une autre Europe.
-Vous avez été grand reporter, en Afrique notamment : avez-vous rencontré là-bas d’autres épidémies ? Si oui, lesquelles ?
C’est le côté mondial, le côté contagieux et la rapidité avec laquelle le virus se répand dans nos sociétés occidentales qui depuis un siècle n’ont plus connu de pandémie qui font peur. Mais, le choléra, la tuberculose, la rougeole font encore des dizaines de milliers de morts chaque année dans les pays les plus pauvres sans compter la malaria. Selon l’OMS, le paludisme touche 220 millions d’individus et tue chaque annuellement provoque la mort de plus de 450.000 personnes.
-J’imagine que vous devez beaucoup penser aujourd’hui à ces pays que vous avez traversés, ces populations que vous avez rencontrées, et qui, dans des systèmes sanitaires bien plus faibles que les nôtres, vont affronter ce virus…
Je reviens du Nord-Kivu une région touchée par Ebola. Des mesures strictes (contrôles sur les axes routiers avec prise de température et désinfection des mains et prise en charge directement des malades) ont permis d’éradiquer (pour le moment) la maladie.
Mais le coronavirus a une ampleur mondiale.
Actuellement le continent africain ne compte que peu de malades. En République Démocratique du Congo, une cinquantaine de cas à Kinshasa. Mais quand on connaît la fulgurance du virus, l’état des structures de santé, je crains le pire. Le gouvernement congolais a pris certaines mesures pour empêcher que le virus ne s’étende à tout le pays. C’est une bonne chose.
Mais dans une capitale surpeuplée, un confinement de longue durée est impossible d’autant que la majorité des Kinois n’ont pas l’argent pour faire des achats pour une période excédant deux ou trois jours. Les autorités en sont conscientes et ont décrété un confinement de 4 jours. Cela sera-t-il suffisant ? Espérons mais je crains le pire car, mobilisés par la pandémie, les pays occidentaux ne répondront sans doute que faiblement «présent».
Tout profit pour la Chine qui colonise de plus en plus certains pays d’Afrique.
Il faut donc que le Covid-19 reste limité à Kinshasa. Est-ce possible ? J’aimerai pourvoir répondre par l’affirmative.
-Que lisez-vous actuellement?
«Souvenirs pieux» de Marguerite Yourcenar.
-Ou voudriez-vous vous trouver actuellement ?
En Grèce, avec ma femme à Diminio un petit village au bord du golfe de Corinthe.
-Aujourd’hui, la Chine, c’est…
…Notre meilleure amie et notre pire ennemie. La Chine et l’Asie sont devenues l’usine du monde. Nous sommes trop dépendants mais aujourd’hui, ces pays sont nos meilleurs amis car sans eux nous ne pourrions pas consommer à bas prix. Notre pire ennemie car la Chine, dans la partie d’échec planétaire, place ses pions partout, surtout en Afrique. Partout elle essaie de faire main basse sur les matières premières et de prendre le contrôle d’endroits stratégiques comme en Europe, les ports du Piré, Gènes, Zeebrugge, etc..., sans compter le pillage les technologies occidentales. Aujourd’hui, l’Europe, c’est un pantin désarticulé par ses 27 Etats (je ne compte plus la Grande-Bretagne) où chacun la joue trop souvent perso. Et pourtant l’Europe, c’est le berceau de la démocratie, de l’humanisme et des lumières. La crise du COVID-19 peut-être salutaire et nous rapprocher ou bien la désunion sera complète.
-Aujourd’hui, les Etats-Unis, ce sont….
Un colosse aux pieds d’argile dirigé par un individu qui essaie de gérer une nation comme une entreprise qui n’a qu’un seul objectif : le profit. La pandémie du Covid-19 sera peut-être au capitalisme américain ce que la chute du mur de Berlin a été au communisme.
-Que ferez-vous le jour où on annoncera la fin du confinement?
Je monte à Paris rejoindre ma femme retenue par son travail mais qui aujourd’hui vit confinée.
-Vous écoutez de la musique, comme ceci ? Laquelle?
Surtout la radio, Classic 21 et le silence.
Propos suscités par Urbain Ortmans et diffusés le 28 mars 2020