"La chambre confinée" (32) : Françoise SERVAIS "un vaccin contre tout ce qui nous détourne de l'essentiel"

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La culture, touchée de plein fouet par la pandémie et le confinement, essaye de se réinventer. Aujourd’hui, c’est Françoise Servais, Directrice du Centre Culturel de Stavelot - Trois-Ponts, qui nous envoie sa carte postale du confine-land… Après ses études en communication, elle a exercé pour une société de communication privée (Prométhée) avant de rejoindre, pendant 6 ans, l’équipe du Centre Culturel de Welkenraedt. Directrice du Centre Culturel de Stavelot depuis 1999 (aujourd’hui Centre culturel de Stavelot - Trois-Ponts). Administratrice de projets culturels qui participent au rayonnement culturel de Stavelot et sa région (asbl Ecoutez-Voir, Festival Vacances Théâtre de Stavelot).

-Françoise Servais, comment vit le Centre Culturel de Stavelot - Trois-Ponts, en confinement ?

Chacun dans l’équipe le vit un peu à sa façon, comme il le peut. Nous avons très vite mis en place le télétravail pour nous permettre de poursuivre à distance. Nous travaillons par mail, par téléphone, avec les outils partagés du cloud et par visioconférences zoom pour garder la dynamique d’équipe. Nous nous sommes concentrés d’abord sur la gestion des annulations. Il a fallu communiquer avec nos publics sur les modalités des remboursements mais aussi voir au cas par cas avec les artistes et les compagnies si des reports pouvaient être envisagés. Nous nous sommes ensuite très vite mobilisés autour de la reprise… une espèce d’instinct de survie qui nous a poussés à nous tourner, malgré toutes les incertitudes, vers la prochaine saison.

-C’est un bouleversement profond dans votre programmation : comment avez-vous réagi ?

Nous avons été parcourus par des émotions successives durant ce confinement…

Notre premier réflexe a été l’optimisme, nous avons veillé à remettre en place une saison de septembre à décembre en privilégiant un maximum les reports. L’idée était de limiter les dégâts pour tous ces artistes et ces compagnies qui n’ont aucun moyen de subsistance depuis la fermeture des salles et des théâtres. Leur situation est catastrophique et nous nous sentons profondément solidaires face aux difficultés auxquelles ils doivent faire face. Le reste de la saison s’est construit dans la perspective d’un retour «à la normale» en septembre.

Puis, nous avons compris que la situation allait durer et avons été suspendus aux déclarations de Sophie Wilmès. Face au grand silence dont la culture a été l’objet, nous nous sommes tournés vers nos associations professionnelles, nos collègues, avons lu, partagé, avons interpellé, avons dénoncé, nous sommes soutenus et avons tenté de nous rassurer les uns les autres.

Avant même la déclaration du 24 avril nous avons, en équipe, réfléchi à la manière dont nous pourrions continuer à faire vivre la culture dans ce climat d’incertitudes. L’action culturelle ne se limite pas aux arts de la scène et aux salles de spectacles. Nous l’avons remarqué pendant cette période de confinement : elle est dans la rue, sur les balcons, dans les jardins des maisons de repos, dans les livres, dans les maisons, sur les écrans via des directs artistiques,... C’est clair, tout un pan de la création artistique et des arts vivants sont lourdement menacés. Il nous appartient, il nous incombe à tous, opérateurs, artistes, avec l’aide du public et le soutien des pouvoirs publics, d’être créatifs et de réinventer notre manière de travailler afin de ne pas laisser s’installer «le confinement de la pensée».

C’est cette volonté qui anime aujourd’hui l’équipe ; cette envie de participer avec nos imaginaires et nos ressources au maintien de l’expression artistique et de l’exercice du sens critique.

-Que peut-on faire pour aider le monde culturel et les artistes ?

Il y a beaucoup à faire. Mais la toute première chose, à mon sens, est que les états et l’Europe (on en parle peu) reconnaissent enfin la légitimité sociale et économique du secteur et des acteurs de la culture. Ce n’est pas qu’une question de finances, c’est également une question de discours. Il est temps que dans les prises de paroles politiques, on parle davantage de valeurs humaines que de valeurs économiques.

L’industrie culturelle en Belgique, au sens large, c’est 185.000 emplois et plus de 40 milliards de chiffre d’affaires. C’est loin d’être anecdotique. Et pourtant, les artistes, qui sont un des maillons essentiels de cette industrie n’ont, à ce jour, toujours pas de statut décent.

Les opérateurs culturels ont également un rôle fondamental à jouer. Je ne suis pas de celles qui pensent qu’il faut attendre de voir comment la pandémie évolue pour envisager l’avenir. C’est aujourd’hui qu’il faut nous mobiliser pour ne laisser aucune place au fatalisme. Nous devons être proactifs pour ne pas permettre au virtuel ou au vide de gagner du terrain. Nous pouvons, en attendant de sortir de cette crise, nous tourner vers des formes alternatives qui garantissent la distanciation physique, les précautions sanitaires et qui permettent aux artistes de continuer à travailler en toute sécurité ; nous pouvons investir les espaces publics, travailler sur le plein air «de petite envergure» afin de garder le contact avec nos publics…cela ne sera pas facile mais il y a des choses à faire.

Et puis le public peut lui aussi aider le secteur de la culture et les artistes en ne cédant pas trop à la tentation du tout à l’écran, en exprimant haut et clair ses besoins en matière de culture. Et puis bien sûr, dès que le danger sanitaire sera écarté, en revenant dans les salles et les centres culturels.

-Financièrement, quel est l’impact de la pandémie sur le Centre Culturel ?

Les conséquences financières sont à la fois directes et indirectes.

La crise impacte directement nos recettes de billetterie, les produits des bars, sans compter les dépenses qui avaient été engagées et qui, suite aux annulations, sont perdues. Je pense notamment aux frais de communication et à tous les frais structurels qui continuent à tourner malgré l’arrêt de nos activités.

De manière plus indirecte, on peut craindre que les gens aient peur de revenir au spectacle dans les mois à venir et que les fréquentations ne s’en ressentent pendant un certain temps.

La pandémie a également impacté lourdement le secteur privé… nos partenaires pourront-ils continuer à nous accorder leur soutien en sponsoring ? Pareil pour les pouvoirs publics qui nous subventionnent… le décret qui régit les Centres Culturels n’avait pas été financé à 100 %... nos missions n’ont pourtant fait qu’augmenter. Notre détermination et notre créativité ne suffiront pas à sauver le secteur si les aides venaient encore à être diminuées.

-Comment se rythment vos journées ?

Je me mets au travail à l’heure habituelle où je suis au bureau, je relève mes mails et je lis l’actualité et les informations spécifiques au secteur. Je traite mes courriels et m’attelle aux urgences de la journée et aux dossiers en cours. Mes journées sont longues et ponctuées par des coups de fils et des vidéoconférences avec les collègues ou avec des partenaires. Mes deux grands enfants qui, d’habitude, sont en kot la semaine, suivent les cours en podcasts. Ils partagent le même espace de travail que moi, il convient donc de s’organiser. Je cuisine plus que d’ordinaire, nous partageons les repas, nous échangeons,… pour moi, ça c’est un vrai bonheur. Après ma journée de travail, je pars en promenade à pieds ou à vélo… j’ai ressorti mon vieux VTT, c’est ce qui me procure le plus un sentiment de liberté en cette période de confinement. 

-Le confinement laisse du temps pour prendre du recul : sur quels projets de plus longue durée travaillez-vous ?

Nous gardons, en plan A, le scénario optimiste d’un projet culturel qui intègre les objectifs et enjeux que nous nous sommes assignés jusqu’en 2023. Mais le gros dossier d’avenir qui nous occupe est celui de la salle culturelle. Le Conseil communal a approuvé, juste avant le début du confinement l’avant-projet réalisé par le Bureau V+. Nous travaillons sur les dossiers de subventions et poursuivons, par vidéoconférences et par mails, les réunions de travail avec la Ville, la SPI et les architectes.

-La culture, c’est aussi lire ! Que lisez-vous en ce moment ?

Oui… lire c’est aussi une des grandes libertés accessibles en cette période confinée. Je lis actuellement un livre qui m’a été offert par mon amie bibliothécaire, «L’histoire de la femme qui devait tuer Orson Welles» d’Antônio Xerxenesky. Le personnage principal, Ana, est une tueuse à gages qui considère le crime comme un art. Elle a pour mission d’assassiner Orson Welles, mais pour faire les choses «proprement», elle doit d’abord voir ses films et tout savoir sur le réalisateur. A travers ce personnage torturé mais attachant de cette tueuse à gage, le livre pose des questions essentielles sur l’art : comment le définir, quel est son rôle, est-il utile, peut-il sauver les hommes, les rendre meilleurs ? C’est drôle, subversif et cela me donne envie de voir et de revoir toute l’œuvre cinématographique du grand Welles et en particulier «Citizen Kane», considéré comme le plus grand film de tous les temps.

-Que vous apprend cette épidémie ?

Elle m’apprend la patience… j’ai hâte de revoir ma famille, mes amis, mes collègues, tous les gens que j’aime. Elle m’apprend aussi à changer ma relation au temps. Nous avons l’habitude, dans la culture de travailler sur le long terme et à être sans cesse dans l’anticipation. Les incertitudes nous contraignent, pour un temps, à aborder les choses sous un tout autre angle, à avancer pas à pas au rythme des informations du CNS et de l’évolution de la pandémie.

Plus globalement cette épidémie nous rappelle à tous que rien n’est éternel ni permanent, qu’il faut sans cesse se réinventer. Elle nous rappelle surtout que rien n’est plus précieux que les relations humaines.

-Comment jaugez-vous les réactions des gens ?

J’y vois le meilleur comme le pire. La peur, le climat de tension suscitent parfois des réactions étonnantes, en bien, comme en mal.

-On dit que plus rien ne sera jamais comme avant... qu’en pensez-vous ?

Je pense que cette crise aura eu le mérite de donner à réfléchir sur les choses qui sont essentielles à nos vies. Dès les premiers jours du confinement, j’ai lu et entendu des témoignages de gens, de philosophes, de journalistes, de personnalités du monde scientifique ou économique éminemment inspirants. Chacun en retiendra ce qu’il jugera important pour lui-même et pour ses proches. Les choses ne changeront vraiment que si, individuellement, nous opérons des choix et posons des actes. J’ose espérer que tous ces choix individuels contribueront à faire bouger les lignes.  

-Une promenade à suggérer à Stavelot, après le confinement ?

Nous travaillons sur l’illustration de la "Promenade du loup" au centre ville de Stavelot. Cette promenade thématique avait été imaginée, il y a quelques années, dans le cadre d’un projet pluridisciplinaire intitulé «Stav’Loup». Elle propose de découvrir, en 17 panneaux didactiques, les liens entre le pays de Stavelot et le loup en s’appuyant sur la toponymie et sur les monuments, vestiges et documents historiques.

Elle avait, à l’époque, été illustrée par les superbes oeuvres du photographe animalier français Vincent Munier. Les visiteurs et promeneurs pourront, cet été, les redécouvrir dans les rues de Stavelot, en famille ou entres amis et évidement toujours à bonne distance.

Une promenade artistique sur le thème de l’eau sera également proposée à Trois-Ponts.

Nous pensons qu’il est important que l’art continue d’exister et de faire rêver surtout en cette période de privation sociale et culturelle.

-Quid des festivals de l’été ? Par quoi seront-ils remplacés ?

Nous ne savons, à l’heure actuelle, pas grand-chose sur les activités culturelles qui pourront être autorisées à ce stade du déconfinement.

Mais nous savons que les festivals d’été ne pourront pas avoir lieu. C’est un choc pour tous les amoureux de théâtre, de littérature, de musique qui, chaque année, suivent la programmation du Festival Vacances Théâtre et du festival de Stavelot.

L’équipe du Centre Culturel travaille actuellement, en coordination avec l’Office du Tourisme, à un programme d’activités qui pourrait proposer des alternatives… Une programmation d’été adaptée et raisonnée qui garantirait la précaution de la distanciation physique et qui apporterait au public des petites bulles d’oxygène culturelle et artistique : les promenades artistiques que j’évoquais toute à l’heure, des promenades contées, des interventions de théâtre de rue, une lecture de paysage, les idées ne manquent pas… et oui, nous sommes peut-être des rêveurs et nous voulons croire qu’il y aura une place pour les activités culturelles dans le processus de déconfinement.

-Qu’est-ce qui vous indigne le plus en cette période ?

Le peu d’importance et de considération accordé au secteur non-marchand. La hiérarchisation inutile et dangereuse créée entre les activités de bricolages (l’ouverture des magasins de bricolage) et les activités intellectuelles (l’ouverture des musées ou des galeries par exemple).

Je ne peux me résoudre à l’idée que les valeurs économiques prévalent sur les valeurs humaines. Il y a encore quelques mois, le personnel soignant était dans la rue pour réclamer davantage de moyens pour les soins de santé. Et la crise sanitaire est arrivée. Je crains que la crise culturelle ne suive.

-Vous auriez une baguette magique, qu’en feriez-vous ?

Deux vaccins : l’un contre le corona virus, l’autre contre tout ce qui nous détourne de l’essentiel.

Je forme le vœu magique d’un monde imaginatif et créatif où les gens sont en bonne santé, ont suffisamment de temps et de moyens de subsistance pour pouvoir profiter de l’art, du théâtre, de la musique, du sport, de leurs proches, de leur cadre de vie et de participer à une société plus respectueuse de l’environnement et plus humaine.

- Quel est le plus beau mot de la langue française lié à cette période ?

La bienveillance. Avant, pendant et après cette période.

 

 Propos suscités par Urbain Ortmans et diffusés le 6 mai 2020.

 

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