"La chambre confinée" (22) : Daniel RICHARD "protéger l'intégrité physique des travailleurs !"

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Né à Malmedy en 1961, formé à la communication sociale à Tournai (IHECS), Daniel Richard est devenu journaliste professionnel à la fin de son service civil à «Vidéo 600», l’ancêtre de Vedia… Il a travaillé dans l’arrondissement de Verviers comme free-lance avant de rejoindre la rédaction de «La Wallonie» à Liège. Il y a toujours occupé des fonctions syndicales et y est,  parallèlement, devenu le chroniqueur social. Il a été impliqué étroitement dans la métamorphose du journal qui appartenait aux métallos liégeois de la FGTB et est devenu «chef d’édition» du «Matin». En 2000, il rejoint le service d’études de FGTB wallonne et, en 2008, la FGTB de Verviers-Ostbelgien l’élit pour la première fois secrétaire régional interprofessionnel. Un mandat qui a été renouvelé pour la troisième fois le 12 décembre dernier à l’occasion du congrès de la régionale. Nous lui avons demandé de porter un regard sur cette période, celui du responsable syndical confronté à des situations très concrètes et celui de l’ancien journaliste, toujours intéressé par la mise en perspective et l’analyse. Voici son regard, de sa chambre peu confinée, raisons professionnelles obligent.

 

-Daniel Richard, pour vous et vos activités professionnelles, confinement ou pas confinement ?

Mes activités se poursuivent, avec un rythme encore plus intense, sans confinement. Habituellement, elles se déclinent en trois volets : l’animation syndicale au niveau interprofessionnel (représentation dans les instances de la FGTB, dans le bassin…), l’éducation populaire dans le cadre de l’ASBL Cepag verviétois dont je suis l’administrateur et la direction de l’organisme de paiement des allocations de chômage. C’est cette dernière responsabilité qui requiert depuis le début de la crise sanitaire toute mon attention et l’essentiel de mon énergie.

Cette activité a immédiatement été reconnue par le gouvernement comme «essentielle». Raison pour laquelle,  nous ne sommes pas confinés…

Nous avons rapidement pris une série de mesures, au-delà de ce que prescrivent les autorités, pour nous protéger, évidemment, mais aussi garantir, en cas de contamination, le payement des allocations de chômage. Nous avons décidé de suspendre tous les contacts physiques avec les travailleurs de nos permanences extérieures. Nous avons fermé l’accès à nos salles d’attente. Nous sommes pointilleux sur les mesures d’hygiène et nous respectons évidemment les distances physiques. Heureusement, nous ne comptons aujourd’hui aucune victime du covid19 dans nos rangs.

-Comment se déroulent vos journées actuellement ?

Jusqu’à ces derniers jours, tout mon temps a été consacré à relever le défi du payement des allocations de chômage pour le mois de mars. Il faut se rendre compte de la gageure. Nous n’avions jamais connu une pareille situation : une augmentation de quelque 150 % du volume d’activité en trois semaines !

En quelques jours, quelques heures parfois, nous avons dû improviser une nouvelle manière de fonctionner. La simplification administrative nous a aidé, certes. Comme le soutien de notre organisation fédérale, d’ailleurs.

L’essentiel de notre travail est fondé sur le contact avec nos affiliés. Du jour au lendemain, nous avons été contraints de nous reconvertir dans la «communication à distance», les échanges électroniques, principalement. Une révolution culturelle pour nous mais surtout pour nos affiliés qui devaient aussi, dans ces temps incertains, être rassurés sur leur situation.

Vous devez savoir que notre équipe était en restructuration depuis des mois suite aux conséquences des différentes réformes du chômage depuis 2014. Nous avons dû adapter le volume de l’emploi à la charge jusqu’ici décroissante de notre activité. C’est donc avec un nombre d’équivalents temps plein réduit de plus de 20 % qu’en trois semaines, il a fallu absorber l’explosion des payements. Nous avons retrouvé, en mars, un niveau de payement équivalent à celui de janvier 2015 ! Tous les services de la régionale sont venus en appui des agents payeurs (un métier spécialisé dont la seule formation théorique dure plus d’une année !).

Les collaborateurs ont travaillé plusieurs week-ends entiers. L’implication a été totale pour éviter d’ajouter au chaos l’insécurité sociale qu’aurait provoqué de longs retards dans le payement d’allocations indispensables pour des milliers de chômeurs.

Aujourd’hui, c’est le soulagement. Le job a été fait. Le défi relevé… Les travailleurs de la FGTB de Verviers-Ostbelgien ont assuré. Et moi, je suis très fier d’avoir été à leur service… Tout n’a pas été impeccable, évidemment. Mais la majorité des payements ont été effectués rapidement et le travail a été de qualité.

Dans des conditions très difficiles, les objectifs ont été atteints. Sans discrimination entre les affiliés !

Nous avons reçu en permanence des témoignages de compréhension de la part des victimes de cette crise et nous avons pu travailler dans un climat de bienveillance à notre égard. Cela tranche avec l’atmosphère et la «mauvaise réputation» dont sont parfois l’objet les organisations syndicales. A l’évidence, nos membres savent en quoi nous sommes utiles et pourquoi nous sommes nécessaires !

Après la mise en place d’une nouvelle méthode de travail qui a montré une certaine efficacité, je retrouve un peu de temps pour relancer, dans le cadre du confinement, bien sûr, des activités d’éducation populaire. Ce lundi, à 20 heures, par exemple, nous allons tenter de mener un «café politique» sur les réseaux sociaux. L’invité du Cepag verviétois sera Jean-François Tamellini, le secrétaire fédéral de la FGTB qui parlera du syndicalisme d’après la crise sanitaire.

Nous continuons de nous adapter à la situation en préparation du 1er mai où nous voulons être présents sur la toile pour porter notre message, indépendamment de circonstances difficiles…

-Vos affiliés subissent de plein fouet la crise du coronavirus : soit ils sont en première ligne, soit ils sont impactés par une période de chômage… comment gérez-vous cela ?

Je vous ai parlé des chômeurs. Les sections professionnelles continuent d’encadrer ceux qui restent actifs. Il n’y a pas de ce côté-là non plus de ralentissement de l’activité. La priorité est là, de garantir de manière absolue la plus grande sécurité sanitaire de travailleurs ! Les pressions économiques sont de plus en plus fortes pour reprendre des activités «comme si rien n’était»,  «business as usual», comme si la «fin de la récré» aurait déjà été sifflée… Nous le mesurons au niveau des entreprises comme nous le sentons au niveau des discours macro-économiques et au niveau politique, parfois.

Notre boulot est vraiment de garantir que le travail ne puisse pas mettre en danger l’intégrité physique des travailleurs, leur santé…

Nous devons aussi attirer l’attention de nos affiliés sur les risques qu’ils courent. La tentation de passer outre des dispositions de protection peut aussi exister chez eux.

La santé n’est pas un facteur d’ajustement économique ! Si nous ne le répétons pas inlassablement, qui le fera à notre place dans le monde socio-économique ?

Par ailleurs, le virus a remis à l’avant plan ceux qui sont, dans cette société, les véritables «forces vives». Il nous invite à une réflexion sur le sens de "l’utilité sociale".

-Parlons des soignants : ils reviennent au premier plan. Constatation que le secteur de la santé a été mis de côté ces dernières décennies ?

Incontestablement ! Nous avons sous les yeux la démonstration des conséquences du désinvestissement dont le secteur des soins de santé a été l’objet depuis des décennies. Sortis de l’urgence, nous devrons impérativement procéder à une évaluation méticuleuse des responsabilités de la situation tragique au bord de laquelle nous nous sommes trouvés.

Nous avions un des meilleurs systèmes de santé du monde ! Et là, on installe des centres de tri à l’entrée des hôpitaux. Il manque de tout dans les salles d’opération : des masques aux tenues, en passant par certains médicaments… Des choses n’ont pas fonctionné correctement et c’est inacceptable !

Les économies sans cesse répétées ont affaibli le système. C’est indéniable.

Le personnel soignant a été méprisé quand il réclamait des moyens supplémentaires. Et quand c’était de la considération qu’il demandait… Je ne vous fais pas un dessin !

Demain, les citoyens devront réclamer des comptes sur ces décisions d’économie qui ont conduit à un débordement de nos infrastructures, à la mise en danger des travailleurs et des travailleuses  de la santé et… des citoyens les plus fragiles.

-D’autres professions sont en première ligne, avec, tout de même, beaucoup de peur face à la propagation du virus : les caissier(e)s, les chauffeurs de bus et d’autres encore. Quel rôle pouvez-vous jouer dans la prise en compte de leur protection ?

Informer. Faire pression quand c’est possible. Là où les entreprises ne sont pas syndicalement organisées, c’est beaucoup plus compliqué pour nous. Le travailleur se retrouve alors seul, désarmé, face à l’autorité patronale. L’inspection du travail est débordée et ne constitue pas un remède miracle dans ce cadre.

Ce qui me frappe personnellement, c’est l’importance soudaine qu’ont heureusement reprise des fonctions régulièrement méprisées ou négligées. Enormément de métiers aujourd’hui «essentiels» sont en réalité plutôt mal considérés. Et, corrélativement, mal rémunérés… Regardez le personnel d’entretien… Il est aujourd’hui un maillon fondamental de la chaîne de résistance à la contamination dans les milieux professionnels et les entreprises ! Ces travailleurs sont très rarement rémunérés à hauteur de 14€ de l’heure. C’est notre revendication en matière de salaire minimum. Est-ce normal ? Je veux aussi évoquer le rôle des aides familiales et celui des travailleuses en titres service…

-Aurait-on dû mieux prévoir cette pandémie ?

Incontestablement. Elle était prévisible. Elle avait d’ailleurs été prédite par certains auteurs. Nous avons consacré une bonne partie de notre Congrès de décembre à réfléchir aux réponses syndicales à apporter aux perspectives d’effondrements. Le scénario d’une pandémie a été évoqué avec précision par certains «collapsologues».

Ce que nous vivons est bel et bien un effondrement. Celui des soins de santé et de l’idée que nous nous faisions de notre sécurité sanitaire.

Nous y avons été mal préparés parce que ce secteur n’a plus été organisé en fonction des besoins et des risques à affronter mais comme un centre coût dans la «SA Belgique».

Cela a des conséquences importantes dans une société devenue très inégalitaire. Il faut accepter d’en faire le constat. Les acteurs publics ont le plus souffert. Dans notre système, si vous avez les moyens, vous serez toujours soigné ! Et cela quelles que soient les insuffisances du secteur public. Par contre, si vous n’êtes pas riche…

Par ailleurs, le financement des besoins collectifs, comme la protection de la santé de tous, est devenu beaucoup trop peu lié aux capacités contributives des uns et des autres.

En décembre, les débats avec nos militants ont été fructueux. Notre congrès s’est conclu sur un constat : nous manquons d’une approche systémique des crises qui nous attendent.

Depuis, le système global s’est arrêté en quinze jours… à cause d’une des plus petites choses qui soient, un virus… Mais, comme dans un jeu de domino, cette «petite cause» va avoir de grandes conséquences. En cascade… Cela va, nous en faisons le pari, transformer durablement «notre monde».

Le réchauffement climatique ne s’arrête pas parce que notre attention est tout entière portée sur la comptabilité quotidienne de nos hospitalisés, de nos patients «en soins intensifs» et de nos… morts. Le dégel du permafrost qui déjoue des prédictions beaucoup trop optimistes risque de libérer d’autres virus et d’autres bactéries inconnues de nos organismes. Nous devrons anticiper ces risques. Comme nous aurions pu le faire pour le covid19 après les épidémies de SRAS, d’Ebola etc.

Oui, nous devons nous préparer. Malheureusement, la culture dominante est celle des valeurs d’un capitalisme préoccupé essentiellement par la poursuite de l’accumulation des richesses dans un nombre de mains de moins en moins nombreuses… Le reste apparait toujours secondaire.

-La mondialisation montre ses limites…

C’est le moins que nous puissions constater. La mondialisation est un échec social et humain. Mais il y avait déjà d’autres signaux de cette faillite. La faim dans le monde. Les enjeux migratoires. J’ai déjà évoqué le réchauffement climatique et ses effets qui ne connaissent pas les frontières. La dégradation de la biodiversité et les extinctions de masse au niveau du règne animal. L’épuisement des sols et la fin garantie d’un modèle productiviste d’agriculture… Depuis plusieurs décennies, la dynamique globale développe une empreinte écologique très supérieure à la bio-capacité terrestre, c’est-à-dire à la capacité de la planète à régénérer ce que nous avons consommé. Le «jour du dépassement» qui exprime concrètement cette réalité arrive de plus en plus tôt dans le calendrier.

Seuls ceux qui regardent ailleurs peuvent croire que cela pourrait durer… Mais nous avons des limites. Au contraire de l’idée que nous nous faisons de l’univers, notre monde n’est pas infini.

Dans ce cadre, objectif et froid, se pose aussi de lourdes questions sur l’avenir de la démocratie, des libertés individuelles, sur le rôle du «collectifs», de la lutte des classes qui reste, quoi qu’on en dise, le moteur des rapports sociaux dans une économie libérale productiviste.

Un autre monde est possible, c’est sûr. Le problème c’est surtout qu’il est devenu très urgent.

-C’est le retour de l’Etat, dans son rôle de protection des citoyens ?

Ça, c’est dingue. C’est très impressionnant. Voici un week-end ou deux, je me suis surpris en lisant "l’Echo". J’avais l’impression qu’il dépassait "l’Huma" sur sa gauche ! Sans rire.

A chaque crise, les capitaines d’industrie se souviennent du rôle de l’Etat. Moins dans son rôle de protecteur des citoyens que dans celui de bienfaiteur des mendiants patronaux !

C’est choquant. Le rôle de l’Etat est discrédité quand il assure la plus grande égalité entre les citoyens. Le discours sur les «charges», on ne l’a pas rêvé… Les services publics coûtent systématiquement trop cher et la sécurité sociale est forcément mal gérée. Mais quand les banques se cassent la figure comme en 2008, le recours au moyen public pour sauver la mise, est-ce… normal ? Etat protecteur ? L’Etat comme planche de salut des puissants et comme planche à billets, surtout…

On nous explique pour justifier le système que la rémunération du capital est le salaire du risque. Mais en cas de revers, c’est la collectivité qui éponge ? Dans ces conditions, il est où le risque de l’investisseur? Pile, «ils gagnent», face «nous perdons».

Soyons attentifs aux dividendes que se préparent à verser les entreprises dans les prochaines semaines à leurs actionnaires. Et mettons en parallèle les discours qui ne vont pas manquer sur les efforts nécessaires, que nous, les plus petits, devront faire pour secourir et sauver ceux qui acceptent encore de nous exploiter ?

Nous pourrons alors mesurer qui est vraiment protégé et qui l’est moins !

La part des revenus du travail dans la répartition de la richesse produite (synthétiquement le produit intérieur brut) a encore reculé de 2 % en Belgique depuis 2002. A la grosse louche, ce que représentent les salaires dans le PIB  est passé 50 à 48 %. Grosso modo, depuis le début du XXIème siècle, la rémunération du capital se prend 10 milliards de plus par an ! Cette augmentation, c’est un tiers du budget des soins de santé ! Rien que ça… Pour protéger qui ?

Je vous rappelle, par ailleurs, que l’«Etat protecteur» est financé à plus de 80 % par les seuls travailleurs/consommateurs (à travers l’IPP et la TVA, notamment).

Ce sont toujours les mêmes qui sont saignés et cela devient difficile de ne pas le voir.

Dans ce tableau, on est très éloigné de  l’esprit d’«union sacrée».

Je crains –en fait j’en suis certain !– que chacun voudra rapidement défendre ses seuls intérêts. La FEB est déjà dans cette logique-là. Elle demande -et obtient, comme toujours !-  une plus grande flexibilité du travail. En échange de quoi ? Un gel de trois mois de la dégressivité des allocations de chômage ? Ce gouvernement n’est pas sérieux ! Notre job à nous, comme syndicalistes, c’est de défendre les intérêts des travailleurs. On se cramponne actuellement pour éviter des reculs de droits. Je ne crois pas une seconde, dans ces conditions-là, que le dé-confinement va se réaliser dans la joie, la bonne humeur et surtout dans le consensus ! Notre boulot, c’est aussi de nous y préparer.

- Que pensez-vous de la réponse apportée par l’Europe ?

Comme d’habitude… Pas de surprise.

L’Europe reste du côté du manche. Elle joue les intérêts des pays du nord contre la solidarité que nous devrions avoir avec les pays du sud. La manière dont l’Italie et l’Espagne ont été abandonnés à leur propre sort, après la Grèce, laissera des traces, je pense. Les excuses de la Présidente de la Commission ne feront rien à l’affaire.

Ses silences par rapport au coup d’Etat de Viktor Orban ne sont pas moins consternants.

Défendre la belle idée européenne dans le cadre des institutions dont nous disposons devient vraiment difficile.

Et je ne vous parle pas de sa politique migratoire : dans un livre que je dois lire, Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial des Nations Unies, trace les contours de la responsabilité européenne dans la création de «nouveaux camps de concentration» à Lesbos, une île grecque qui fait face à la Turquie !

Si l’Europe n’est plus en phase avec le modèle qu’elle prétend proposer face à la mondialisation sauvage, avec la solidarité comme moteur, elle disparaitra…  Sauf peut-être comme gendarme supranational de l’orthodoxie libérale, ce qu’elle est déjà.

La concrétisation du rêve européen, c’est exactement le contraire des promesses de la pierre philosophale : la transformation de l’or en plomb…

-Qui vous inspire en cette période ?

Des sentiments partagés. Nous vivons un moment de basculement. Gramsci a écrit des vérités définitives sur les temps de crise. Elles sont des moments où peuvent surgir des monstres.

Bien des choses m’interpellent à ce propos.

Le consentement si rapide aux mesures de restriction des libertés m’effraye. On va nous imposer la 5G pour mieux contrôler nos déplacements,  notamment, en pistant nos GSM ? Sans la moindre précaution quant aux risques sanitaires que fait peser cette technologie ?

Entendons-nous : je pense que, confronté à la pandémie, la restriction de nos libertés est sans doute nécessaire. Ce qui est inquiétant, c’est qu’elles ne sont accompagnées d’aucune garantie… Et de peu de précautions sociales. On va accepter qu’on transforme nos GSM en mouchard pour surveiller notre mobilité ? Mieux, on sera volontaire pour s’inscrire dans le plan ? La technologie va nous alerter de la présence d’un pestiféré dans le voisinage et cela va nous rassurer ?

Nous avons déjà accepté, avec enthousiasme parfois, qu’on puisse verbaliser des comportements qui violent les injonctions de confinement. Et cela que vous résidiez avec votre famille nombreuse et confinée dans un appartement étroit en centre-ville ou dans une villa quatre façades à la campagne ?

Je suis inquiet de ce que nos consentements préparent.

Mais, d’un autre côté, nous sommes tous les témoins d’une solidarité forte qui s’exprime parfois bruyamment sur des balcons en début de soirée. Il y a une empathie naturelle qui s’exprime à l’endroit de gens qui prennent des risques pour aider et secourir les autres ; juste pour faire bien leur boulot dans des conditions parfois insupportables ! On pense aux soignants. On est «avec» le personnel des MR, des MRS, des maisons pour handicapés, les centres d’accueil des mineurs…

Ces attentions nous permettent de penser que du meilleur pourrait être à portée de mains.

Entre le mieux et le pire, tout peut encore basculer.

Ce qui est sûr, par contre, c’est que reprendre là où on a déposé l’outil, comme si rien ne s’était passé, sera juste impossible. Pour une infinité de raisons…

Quoi qu’il en soit, la pandémie a fait une démonstration : contrairement à ce qu’on nous disait, l’économie globalisée peut s’arrêter. Face aux enjeux du réchauffement climatique, le coronavirus a brûlé un argument. Et cela a été possible en un temps record ! La perspective de mise en place d’un autre modèle compatible avec la bio-capacité de la seule planète à notre disposition, avec l’urgence de la refroidir et avec un socle de valeurs éthiques minimales dans le partage des ressources comme des fruits du travail est devenu possible et même réaliste.

Brusquement, la «société de consommation» n’est plus l’horizon non négociable pour un «bonheur commun». Un des slogans qui m’a marqué sur les réseaux sociaux au cours des dernières semaines s’étonnait que l’économie s’arrête si nous n’achetons plus que ce qui est nécessaire…

La déclaration des droits de l’Homme de 1793 proclamait que le «but de la société est le bonheur commun». C’est peut-être le moment d’y donner un nouveau contenu.   

-Que lisez-vous ?

Je ne lis pas assez en ce moment. La presse quotidienne régionale, trois journaux nationaux, les réseaux sociaux… Je manque de temps pour la littérature. Je réserve pour de prochaines vacances pleins de titres en retard : Pennac, Gaudé, Job, Teulé…

J’essaye dès que je peux de me replonger dans des essais qui éclairent les moments présents. Ziegler m’attend sur Lesbos, Isabelle Stengers sur le «sens commun», Chamayou sur la généalogie du libéralisme autoritaire, Chapoutot sur l’héritage national-socialiste dans le management des entreprises…

Sur les effondrements et pour préparer notre congrès, j’ai beaucoup lu. Je recommande Bruno Latour «Où atterrir ?», François Ruffin «Il est où, le bonheur» et Jean-Marc Gancille «Ne plus se mentir»… Pour commencer.

-Quelles mesures pour relancer l’économie ?

Mesurons d’abord que tout ne s’est pas arrêté chez nous. Les industries agro-alimentaires ont plutôt tourné à plein régime… par exemple.  Selon nos informations, l’arrondissement aurait, en mars en tous cas, moins «chômé», proportionnellement qu’ailleurs dans le pays. Je continue à chercher à vérifier l’information et à l’expliquer surtout…

Cela dit, nous devons absolument réfléchir collectivement à ce que sont, réellement, nos besoins essentiels. Pourquoi ? La question de notre dépendance s’est trouvée au cœur de quelques angoisses existentielles ces dernières semaines. Les épisodes des «masques chirurgicaux» sont devenus littéralement emblématiques. La perspective d’une relocalisation de certaines productions est aujourd’hui clairement à l’ordre du jour. Oui, mais lesquelles ? Celles que nous devons définir, ensemble, comme essentielle à nos vies, me semble-t-il.

La crise sanitaire ne sera qu’une séquence d’un film plus long. Elle sera comme un premier domino dans un enchaînement de problèmes auxquels nous risquons d’être confrontés. D’autres menaces sont à nos portes : une crise financière, une crise de la production, une crise alimentaire… Le réchauffement climatique amène de nouveaux problèmes. Sans parler de la crise énergétique qui, toute chose restant égale, va arriver. J’ai l’impression que l’effondrement du prix du pétrole est une stratégie qui vise à réduire les capacités de production pour permettre aux prix de repartir à la hausse…

Notre économie doit être repensée de manière à la rendre plus «résiliente» face  à ces chocs prévisibles.

Cette réflexion nous ramènera au plus proche des territoires. Il ne s’agit nullement d’un retour à des formes de protectionnismes mais plutôt de la promotion d’une «sécurité» d’approvisionnement pour satisfaire des besoins de base à définir. Au plus les territoires pourront être «autonomes» sur leurs besoins essentiels, au plus l’économie locale  sera résistante aux chocs et moins la société sera fragile.

Dans l’alimentation, le succès des circuits courts (encore accentué à l’occasion du confinement) donne une indication sur des fondations à réinvestir. L’arrondissement de Verviers a la bonne taille pour s’inscrire dans un tel projet de décentralisation (des outils précieux comme le RATAV ouvrent une voie…). Il semble aujourd’hui manquer un vecteur politique pour porter concrètement cette nouvelle dynamique.

On ne relancera pas l’économie solidement et durablement sans cette réflexion en profondeur avec les citoyens sur ce que sont leurs besoins de base (eau, alimentation, énergie, santé ?) et comment les assurer dans un contexte marqué par la possibilité d’autres effondrements…

-Qui risque de payer les pots cassés, au final ?

La question n’est pas tranchée et les jeux restent ouverts. Pour un syndicaliste, la réponse dépendra toujours du rapport de force entre les protagonistes du partage de la richesse produite. Entre ceux  qui vivent de leur travail et ceux qui profitent de l’exploitation de ce travail à travers la rémunération du capital.

Les Etats sont appelés au secours. Pour l’essentiel, ils sont financés par les travailleurs/consommateurs. En effet, la fiscalité sur le capital n’a cessé de reculé ces dernières années. Le «Tax shift» est le dernier exemple en date. A travers le chômage économique, beaucoup de travailleurs payent déjà les pots cassés. Leur pouvoir d’achat est sérieusement amputé. Et leur revenu de remplacement est financé par la sécurité sociale elle-même dotée, pour l’essentiel, par les cotisations des travailleurs ! Ces cotisations sont la contribution solidaire des travailleurs entre eux à un «pot commun» pour faire face aux coups durs.

Le capital ne finance rien dans ce mécanisme d’assurance. Rien !

Et sa contribution au financement de l’Etat se réduit comme peau de chagrin depuis des décennies. Si le concept de «justice sociale» a un sens, il est urgent de retrouver des mécanismes contributifs qui permettent à ceux qui ont «les épaules les plus larges» de «contribuer» à hauteur de leur capacité ! Il faut globaliser les revenus (du travail, de la propriété…) dans le calcul de l’impôt. Il faut aussi rétablir les taux et les tranches d’imposition que 50 années de libéralisme dominant ont contraint.

Sinon ? Sinon, les premières victimes de la crise payeront au final la facture globale.

Sinon, il deviendra difficile d’imaginer un dé-confinement dans la paix sociale.

Cette crise met en avant aussi la préoccupation qu’on doit avoir pour les plus âgés... Je l’espère parce que la gestion de cette crise a prouvé le contraire. J’ai eu le sentiment d’un retour à une forme d’eugénisme à l’endroit des vieux, des «déjà malades» ou des handicapés. Au moins dans les sous-entendus, à propos des priorités à donner en cas de nécessité de choix pour occuper, par exemple, des lits de soins intensifs… Je suis à la fois touché et scandalisé par la forme d’abandon dans laquelle on a donné l’impression de laisser les maisons de repos…

Cette considération ne nous a pas fait grandir en… humanité. Et puis, cette crise nous a amené à regarder en face la mort la plus atroce : dans l’essoufflement, l’isolement, l’absence de tout contact humain, la plus grande solitude qui soi, coupé des siens… L’horreur absolue !

-On voit se renforcer un mouvement déjà amorcé : le retour au local… Vous en pensez quoi ?

C’est la réponse la plus crédible au renforcement de notre économie, face aux risques d’effondrement qui nous menacent. Revenir à des dimensions que nous pouvons contrôler réellement est nécessaire…

 

Propos suscités par Urbain Ortmans et diffusés le 17 avril 2020. 

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