"La chambre confinée" (21) : Jean STEFFENS "Francofous, nous avons besoin de vous !"

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Nous préparions avec Jean Steffens, patron d’Impact Diffusion et co-Directeur des Francofolies de Spa, cette interview avec l’incertitude planant sur les festivals de l’été. La décision est donc tombée hier : pas de festivals à l’été 2020… Il nous livre à chaud ses réactions, de sa “Chambre confinée” et devant ce tableau de Jean-Louis Foulquier, "Les gueules de la nuit". L’été 2020 sera celui de la préparation de la suite, entre déception et détermination pour l’avenir.

-Jean Steffens, la pandémie et le confinement ont induit un coup brusque et total de la vie culturelle… Comment vivez-vous ces événements ?

En ce qui nous concerne, la situation que nous vivons depuis plusieurs semaines était devenue hyper stressante, dans la mesure où cela apporte une instabilité chronique avec effet immédiat sur tout ce qui était programmé pour la saison estivale. Mais, avant même celle-ci, il est clair que ceci a déjà eu un impact considérable, puisque tous les projets sur lesquels nous travaillions en avril et en mai ont été annulés. Il va en être de même pour le mois de juin, avec notamment une question qui reste en suspens, relative à notre événement "Vibrations" à Malmedy. Après la décision du fédéral du cette semaine, on doit rediscuter avec le Collège et le Bourgmestre de Malmedy, pour essayer de trouver une date éventuelle de report en septembre. C’est la première fois dans ma vie que nous rencontrons, au niveau d’Impact Diffusion, pareil confinement avec des conséquences aussi graves... en espérant que cette situation puisse quand-même changer dès l’automne… mais je n’en suis plus sûr du tout !

-On voit surgir, sur les réseaux sociaux, beaucoup de “conseilleurs” sur la manière de tenir le confinement : structures, organisation, ne pas perdre de temps… Vous en pensez quoi ?

Concernant les conseilleurs, les experts et les analystes en tous genres, très franchement, cela commence à bien faire, d’autant plus qu’on a l’impression que chacun trouve un certain plaisir à expliquer qu’il connaissait l’origine du mal ou bien qu’il avait prévenu des suites à donner, voire qu’il possède à titre personnel la solution en termes de gestion de la crise, si on ne parle pas même de remède miracle ou des médicaments conçus dans la semaine précédant leur intervention !

Ou alors c’est le politique qui se contredit en quelques heures... comme ce mercredi pour l’accès aux maisons de repos… surréaliste et perturbant !

Je pense aussi qu’une partie des médias se nourrit de ce type d’information et que c’est une course effrénée -pour certains- à l’audience, et quelquefois ce n’est plus contrôlé et maîtrisé, entraînant des confusions, voire même des dérapages. Mais ce qui est clair, c’est que la lecture et la compréhension du grand public n’est pas rendue facile. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que ce sentiment d’incertitude, de psychose se propage à toute vitesse. Espérons surtout que ceci ne fasse pas le lit, une fois de plus, des extrêmes, à commencer par la politique, mais aussi par rapport à certains groupes de pression ou collectifs !

À notre niveau, nous avons été aussi très surpris de voir une série de commentaires se répandre après que l’on ait signalé que nous continuions à travailler à la pré-production des événements de l’été, dont bien sûr les "Francofolies". L’inverse eut été totalement stupide et aberrant. Nous avons chaque fois pris la précaution de dire que pour nous, la priorité absolue, c’était la santé, le confort et la sécurité de notre public. Et ce n’est certainement pas dans le cadre des Francofolies qui restent organisées par une association sans but lucratif, que nous dérogeons à ce principe ! Plus que jamais, notre engagement solidaire et citoyen repose sur des valeurs sociétales, humaines, de respect des différences et nous avons démontré à suffisance que pour ne pas devoir être critiqués. Qui a déjà fait autant en Wallonie, voire même en Belgique, pour l’accueil des personnes handicapées, des PMR, mais aussi des personnes malentendantes ou non-voyantes, sans parler de nos investissements à répétition en matière de protection de l’environnement, de gestion des déchets. Nous nous sommes à chaque fois présentés comme un projet pilote et de référence, non seulement en Belgique, mais dans la Francophonie.

-Vous étiez en pleins préparatifs des Francofolies : comment avez-vous réagi ?

Concernant les Francos, nous sommes en communication permanente avec la Confédération des Francos, que nous avons initiée en juillet dernier à La Rochelle, regroupant les Francofolies organisées maintenant dans 7 pays à travers la Francophonie. Et plus particulièrement avec nos amis de La Rochelle, de La Réunion et des Francos au Luxembourg. Ces dernières ont dû malheureusement déjà être annulées à Esch-sur-Alzette il y a quelques semaines, suite à des décisions gouvernementales et nous le regrettons évidemment pour eux. 

Et maintenant voilà que c’est La Rochelle qui annule suite à la déclaration de Macron !

En ce qui nous concerne, dans les préparatifs, nous étions très très loin, avec une affiche totalement terminée, avec près de 100 spectacles au programme et des réactions extraordinaires ! En effet, au début du mois de mars, nous étions dans une situation très prometteuse avec plus de 3.300 places vendues en plus par rapport à l’année dernière au même moment. Et au niveau hospitality, V.I.P., nous étions pratiquement au même score là aussi... mais cinq mois plus tôt par rapport à 2019, nous étions à la recherche de nouveaux lieux à explorer pour accueillir toutes les P.M.E. et les sociétés qui souhaitaient encore rejoindre Spa pour faire leurs opérations en B to B et leurs actions de  relations publiques. C’est donc particulièrement difficile à vivre car nous nous attendions à une édition en tous points remarquable, avec une progression majeure en termes de chiffre d’affaires et donc de rentabilité. Nous étions super confiants  et prêts pour faire de cette édition un grand succès.

-Et maintenant, où en est-on ?

On connaît à présent la réponse. Aucun événement de masse jusqu’à la fin août. Les choses sont ainsi plus claires pour tout le monde. C’est harmonisé et cohérent !

-Pour les artistes, c’est une véritable catastrophe… Comment envisagez-vous le redémarrage des activités ?

Au sujet des artistes, c’est clair que c’est une véritable catastrophe. Nous sommes en contact permanent avec ceux-ci par le secrétariat artistique qui est dirigé par Charles Gardier et nous avons bien du mal à trouver des solutions et des parades, même si on réfléchit à un projet de festival un peu inédit. Donc, vous l’avez compris, pas en live, évidemment, mais dans une formule que nous sommes en train de creuser pour le moment. Vous connaissez aussi notre fidélité à la production artistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous ne changerons pas évidemment notre position et nous allons tout faire pour essayer de les aider, d’abord en termes de communication, de visibilité, mais aussi peut-être à travers d’autres actions spécifiques, sans parler du fait évidemment que nous souhaitons programmer tous ceux-ci à nouveau en 2021 de façon prioritaire. Mais il faut absolument que l’ensemble des festivals se coalise davantage pour défendre les intérêts de la production artistique francophone qui, on le sait, n’est pas toujours en bonne santé !  A l’exception de quelques super vedettes, il faut alerter partout les pouvoirs publics, qu’ils soient locaux, provinciaux, régionaux ou communautaires, afin de dégager des moyens pour assurer cette transition qui va certainement durer de nombreux mois. Et, comme nous n’avons pas en Belgique un système de garantie et de soutien comme les intermittents du spectacle, il faudra probablement se presser pour trouver des solutions palliatives.

-Vous avez des contacts avec beaucoup d’artistes : comment vivent-ils la situation ?

Pour compléter ce que je disais plus haut, c’est sûr que les contacts avec les artistes font apparaître une grande inquiétude, voire pour certains une véritable détresse. Notamment dans le chef de ceux qui préparaient des tournées ou même la promotion d’un album car, en effet, tous les médias sont inaccessibles pour la plupart ; et on peut le comprendre. D’autre part, personne ne va acheter aujourd’hui des disques et il n’y a fatalement pas de concerts, donc pas de rentrées. C’est donc particulièrement difficile à vivre, d’autant plus qu’on ne voit absolument pas ce qu’il se passe au bout du tunnel. 

C’est une situation que personne n’a jamais rencontrée. C’est inquiétant et totalement déstabilisant.

-Vous êtes un créatif, et vous l’avez toujours prouvé : cette époque, propice à réinventer le monde ?

C’est clair qu’en tant que directeur d’une agence de conseil en communication et d’organisation de grands événements, je réfléchis de concert avec Patrick Lienne et Patrick Mignon, mes associés depuis maintenant 30 ans, à comment rebondir ces prochains mois, voire ces prochaines années. On va devoir totalement revoir notre copie et réfléchir aujourd’hui à quels sont les concepts qui peuvent à nouveau être acceptés et appréciés... en créant une adhésion de longue durée. Et avec d’autres valeurs en prime ! J’ai l’impression que toutes les lignes ont bougé et qu’aujourd’hui, on ne verra plus notre métier pendant 2-3 ans, de la même façon pour les projets événementiels, touristiques ou de loisirs. Il va subsister des craintes, des interrogations, mais aussi pour certains des difficultés d’ordre financier, pour simplement consommer ce type d’event !

Et il me semble de plus en plus évident qu’il faudra composer avec les pouvoirs publics, les partenaires institutionnels, pour créer des événements de proximité, accessibles plus facilement et donc démocratiquement, en replaçant clairement l’homme au centre de nos préoccupations ! Et il faudra utiliser ce prisme en priorité, plutôt que la réussite économique, la surproduction, la mondialisation... Tous ces réflexes égoïstes vont nécessairement devoir être corrigées et tant mieux.  

-Chaque chef d’entreprise est confronté à une autre vision de son activité, en confinement : quels enseignements en tirez-vous ?

En ce qui me concerne, c’est principalement dans l’axe que je viens d’évoquer plus haut que je vais essayer de me situer, personnellement. Mais avec aussi une attention toute particulière au maintien de notre équipe, dans un cadre déterminé, peut-être avec une réduction du travail et probablement, pour une partie de nos collaborateurs, du chômage économique, total ou partiel, à envisager dans les tout prochains jours, suite aux décisions gouvernementales qui seront prises et à la définition du cadre dans lequel nous pourrons nous inscrire.

- Qu’est-ce qui vous manque le plus, actuellement ?

Ce qui me manque le plus actuellement, c’est cette ambiance de fourmilière tantôt organisée, tantôt super excitée et désorganisée que constitue une agence événementielle.  C’est sûr qu’on prend l’habitude pendant des années et des années de se rendre dans nos différents lieux de travail et, dès le matin, à la première heure, échanger lors de réunions de pré-production ou de coordination, des idées, des sujets de façon toujours très dialectique.  Et là, on se retrouve quand-même fort isolés face à un ordinateur, un bureau. Heureusement, en ce qui me concerne, des bois, la nature et de l’eau.  Mais c’est vrai que le contact humain ou de temps en temps une petite brasserie ou un resto pour partager avec des proches et des amis, ça fait du bien ! C’est une frustration avec laquelle il faut bien sûr s’accommoder, mais qui n’est pas toujours facile à vivre. Ceci étant dit, je ne me plains pas car je vis dans un cadre exceptionnel, retiré de la ville, avec un voisinage très agréable et le matin, lorsque je sens l’odeur des bois ou du purin répandu par les fermiers, je me dis que je suis quand même privilégié.

-Un voyage que vous voudriez faire instantanément…

Écoutez, pour l’instant, rien du tout. Je vais me concentrer et rechercher des solutions pour le redéploiement de nos activités dès la fin de ce confinement et de cette situation pour le moins complexe. Plus tard, j’espère repartir vers le continent africain où certains défis sont encore possibles et que j’aimerais personnellement relever si la santé me le permet.

-L’été 2020, ce sera…

Le temps de la réflexion et de la méditation pour se projeter dans un avenir à réfléchir et à construire autrement.

-Vous avez peur de l’épidémie ?

Très franchement, au départ, non, pas spécialement. Et maintenant, je l’avoue : oui.  J’avoue une certaine inquiétude et, comme tout le monde, je suis attentivement les informations qui sont diluées en télévision, en radio, dans la presse, afin de savoir chaque jour quelle est l’évolution de cette maladie et malheureusement ses répercussions. J’écoute aussi tous les matins "Impact FM", notre radio de proximité dans laquelle nous sommes investis plus que jamais et je voudrais ici saluer le travail remarquable d’Olivier Tomezzoli et Patrick Dessart qui passent beaucoup de temps à informer la population, à rendre service, à connecter les gens entre eux et surtout à nous mettre en rapport de façon très organisée et transparente avec le monde médical les relais de la santé, aussi bien au niveau du Centre Hospitalier Reine Astrid à Malmedy, que par rapport aux autres institutions réparties sur l’ensemble du territoire de l’arrondissement.

Et vous devrez savoir que notre associé effectue un travail quotidien de communication vers la population de toute la région… à partir du CHRAM mais aussi en interne avec le Conseil d’Administration et la direction du Centre Hospitalier ... Chapeau !

-Que lisez-vous actuellement ?

Pour l’instant, je lis des livres consacrés à la politique africaine et à l’histoire du Congo ! Et puis la presse plusieurs fois par jour !

-Quelle musique écoutez-vous ?

Alors là, je vais vous surprendre. C’est autant du jazz pendant que je travaille ou de l’easy listening, mais ça peut très vite passer aux grands classiques qui vont de Pink Floyd, Led Zeplin et Queen, et se terminer en fin d’après-midi, à écouter du Clash, U2, Coldplay ou Davie Bowie, sans oublier les doses homéopathiques diluées par mes deux fils, dans le monde des musiques urbaines, du rap et du hip-hop. Donc c’est super éclectique et c’est ça qui est chouette dans notre métier, de pouvoir passer d’un style à l’autre avec autant de plaisir.

-Un message aux Francofous, qui sont inquiets et dépités ?

Par rapport à tous ceux qui suivent notre festival depuis de nombreuses années, je voudrais dire que nous comprenons leur tristesse et leur dépit. Mais surtout que nous travaillons en toute sincérité et en transparence, comme nous le faisons déjà depuis 27 ans. Dans le cadre des Francofolies, nous avons toujours voulu privilégier la qualité et la promotion des jeunes artistes. Leur talent est immense en Fédération Wallonie-Bruxelles et nous n’allons pas déroger à cette volonté de les mettre en avant. Il faudra peut-être patienter et peut-être faire l’impasse cette année, mais rassurez-vous : nous reviendrons encore beaucoup plus forts, si ça doit être le cas.  Ceci étant dit, suivez les informations avec notre site web ou par nos communiqués de presse évidemment et entre autres Facebook.  Nous ne tricherons jamais et, dès l’instant où il y a le moindre souci, la moindre inquiétude, soyez-en sûrs, nous ne prendrons pas le moindre risque. Mais nous avons besoin de vous, pour soutenir le projet, tout autant que nous avons besoin de l’aide des sponsors et des partenaires publics et institutionnels, sans quoi nous allons passer des moments très difficiles, mettant peut-être même en péril ce formidable projet qui fait la fierté de Spa, notre région et plus largement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les Francofolies sont compromises cette année mais je suis certain qu’elles ne périront pas de sitôt.

 

Propos suscités par Urbain Ortmans et diffusés le 16 avril 2020.

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