Chez nous, nous avons connu quelques attaques de loups principalement sur des troupeaux de moutons. En Italie, les bergers sont aux prises avec cette réalité depuis toujours. Mais ces dernières années, la donne a changé et la situation est devenue plus difficile. Les tensions entre les loups, et plus particulièrement les individus dits hybrides, et les éleveurs sont plus vives; les conflits plus nombreux. En Toscane, les éleveurs ont l’impression d’être les oubliés du monde politique et ont bien du mal à garder le cap. Beaucoup ont jeté l’éponge. Le loup est un problème certes mais pour bon nombre d’éleveurs, il est surtout l’arbre qui cache la forêt. Un problème de plus dont ils se seraient bien passé et pour lequel le monde politique tarde à amener des solutions concrètes.
L’Italie compte aujourd’hui plusieurs milliers de loups dont une bonne partie se trouve en Toscane. Leur présence n’est pas sans créer comme chez nous des tensions avec le monde agricole à la différence qu’ici les éleveurs ont toujours dû faire avec le loup. Mais aujourd’hui la situation est différente. La population de loups et d’individus hybrides, des loups croisés avec des chiens augmente. Si les attaques ne sont pas plus nombreuses ces dernières années, elles portent toutefois un sacré coup au moral des petits éleveurs déjà économiquement éprouvés et représentent un sacré budget pour la Région, comme nous le confirme Luca Matteoli - membre du Conseil régional :
"Si nous prenons la période entre 2014 et 2020, on a répertorié 3300 attaques de loups soit environs 500 attaques par an qui ont concerné environs 160 exploitations. Le coût de ces attaques supportées par la région Toscane s’élève à 3 millions d’euros soit 500 milles euros par an
Giovanni Cannas est à la tête de la Fattoria Lischeto qui fabrique plusieurs sortes de pecorino tous sont bios et ont l’AOP Pecorino Del Balze Volterrane. Il possède un cheptel de 800 moutons qui pâturent sur quelques 240 hectares.
"Ma famille est sarde, nous confie Giovanni Cannas. Elle est venue de Sardaigne il y a 60 ans à la recherche de pâturages pour les animaux, car en Sardaigne cultiver est difficile. Ici, par contre, les agriculteurs toscans avaient abandonnés leurs terres dans les années ’60 avec le début de l’industrialisation. Grâce aux sardes ces terres ont retrouvé une nouvelle vie avec l’élevage. Maintenant malheureusement l’histoire se répète, une grande partie des jeunes de la seconde génération abandonne l’élevage de brebis".
Hier 400, les bergers sardes ne sont plus aujourd’hui qu’une centaine. Les loups et plus particulièrement les hybrides sont un problème de plus voire de trop. L’année dernière Bartholoméo Carta a perdu plusieurs dizaines de brebis. Certes, comme chez nous, il existe des indemnisations mais les procédures même raccourcies restent, selon Bartoloméo Carta compliquées.
"Un autre problème, c’est l’enlèvement de la carcasse, à charge de l’éleveur et puis la région le rembourse un ou deux ans après. Ceci n’est pas compatible avec le travail que nous faisons parce que je dois anticiper le montant pour l’enlèvement de la carcasse. Et puis il y a le problème de La BDN, c’est la base de données nationale où la bête est enregistrée avec son numéro - la marque auriculaire et le tampon. Je dois faire tout un tas de choses. Si l’animal est égaré ou poursuivi par le loup et qu’il tombe dans un fossé et que tu ne le trouves plus, alors tu dois passer en revue toutes les autres bêtes du troupeau pour savoir laquelle manque. ça c’est la plus grande abérration du système".
Et oui , car pour prétendre à une indemnisation il faut prouver que la bête a bien été tuée par un loup ou un hybride et pour ce faire il faut une trace. En Belgique le remboursement se fait sur base de la valeur de remplacement en déans les 6 mois. En Italie, le délais était de deux voir trois ans, il vient d’être ramené à 60 jours. Quand aux indemnités, elles varient de 150 à 300 euros par brebis en fonction de la qualité génétique de l’animal. Mais comme chez nous, rien ne vient compenser les dommages indirectes comme le stress qui va entraîner une perte de productivité ou encore des fausses couches. Les autorités italiennes proposent aujourd’hui des solutions de prévention qui aux yeux des éleveurs arrivent bien tard et semblent insuffisantes.
"Le loup est un animal protégé qu’on ne peut pas chasser. Mais, il faut au moins, nous dit Giovanni Cannas, «sélectionner » les hybrides, car nous ne pouvons pas laisser cette population de loups croisés avec le chien se multiplier de manière démesurée. Sinon, on sera obligé de changer de métier".
Résister, c’est bien aujourd’hui l’enjeu pour les éleveurs et le loup n’est finalement peut-être que le bouc émissaire d’un contexte politico-économique qui tend en Italie comme ailleurs à favoriser l’industrie agro-alimentaire au détriment des petits producteurs.
"A cause du marché, de la globalisation, un peu à cause du loup, beaucoup de facteurs économiques amènent les jeunes à s’éloigner des exploitations. Ils abandonnent". Pour Bartholoméo Carta qui poursuit :" En Toscane quand les exploitations disparaissent, c’est le territoire qui disparait. Ils ne veulent pas comprendre ça, mais malheureusement, je suis désolé de le dire, cela va avoir un impact négatif sur le tourisme, le paysage et la présence sur le territoire, car le berger vit sur le territoire 365 jours par an. Il entretient les bois, les sentiers, les routes où il travaille. Tout ça contribue à la belle réussite de notre paysage toscan. Quand les brebis auront disparu, adieu ! (Abi)