"La chambre confinée" (28) : Jean CORNIL "un long voyage au bout de mon bureau"

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Jean Cornil a été notamment Directeur-adjoint du Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme, puis Sénateur puis Député fédéral. En 2010, il a volontairement quitté la politique, du moins sous forme mandataire, pour se consacrer à la philosophie, aux sciences sociales et à l’éducation populaire, notamment en travaillant pour Présence et Action Culturelles et en animant des entretiens philosophiques pour le Centre d’Action Laïque. Il nous livre sa vision du confinement.

-Jean Cornil, comment se passe votre confinement ?

Mon confinement se passe plutôt dans de bonnes conditions même s’il sera long car je souffre d’une maladie auto-immune dont le traitement diminue mes défenses immunitaires. Mais je ne me plains pas car j’ai une conscience aigüe d’être privilégié en regard des populations modestes, limitées à quelques m2 dans un appartement exigu, et plus encore en regard de la promiscuité dramatique des africains, des indiens et de tous "les damnés de la terre"...

Et puis je ne connais pas l’ennui, il y a tant de merveilles à découvrir, de connaissances à acquérir ou d’oeuvres à ressentir..."Plus je connais, plus je suis moi-même" écrivait Spinoza. Je suis donc parti pour un très long voyage au bout de mon bureau autour de ceux que j’aime et de moi-même. "Voyager, c’est découvrir que tout le monde a tort" disait Aldous Huxley... alors le chemin devient passionnant. On ne naît pas déconfiné, on le devient...

-Comment se passent vos journées ?

Mes journées sont relativement structurées entre lecture des infos assez tôt le matin ("la lecture du journal est la prière de l’homme moderne" Hegel), écriture de textes d’analyses et de réflexions, lectures d’essais, réunions certains jours en visioconférences, traitement des mails et appels téléphoniques,... bref un quotidien assez immuable mais stimulé par les émerveillements et les indignations...

En fin de journée, séance de piano où je travaille une sonate de Beethoven, une chanson de Souchon et une mélodie de Piazzola ou Wim Mertens, tour de ma cour où je prends soin de mes plantes, repas à discuter et refaire le monde et la vie avec mes proches, un oeil sur les JT belges et français puis parfois un film, comme "Parasite", une série, comme "Invisible Heroes", et toujours un roman, un polar, de Robert Harris ou de Grangé, ou un texte plus littéraire, de Joseph Kessel à René Char, de Eric Vuillard à Philip Roth...

-Comment gère-t-on son confinement : des structures, de la productivité ou bien justement se donner l’occasion d’avoir une autre approche du temps et de l’espace ?

Même si j’aime voyager et découvrir de nouveaux mondes, avec un amour profond de certains lieux comme Jérusalem, Varanasi, Arles, Cordoue ou Furfooz, j’ai une âme de bibliothérapeute, le soin par le livre et les mots, sur fond musical du "Clavier bien tempéré" de Bach qui diffuse en boucles dans mon bureau, lequel est pour moi un multivers infini dans le temps et l’espace...

Mon approche est fondée sur une liberté absolue et inconditionnelle de la pensée, en dehors de toute contrainte politique ou morale. J’ai été trop confronté par mon passé politique avec les propos convenus, lénifiants et manipulateurs. Je n’en peux plus des lieux communs et des slogans péremptoires alors qu’il y a tant de penseurs, de savants et de citoyens solaires, de Rousseau, de Lucrèce à Debray, Dufour ou Camus, de mes voisins et mes amis à Reeves, Testot, ou Pouydebat, de l’amour de ma vie à Simone Weil ou Nancy Huston...

"Ne pas pleurer, ne pas se moquer mais comprendre" pour paraphraser à nouveau Spinoza. Le bénéfice du confinement est, pour moi, d’amplifier, d’intensifier dirait Nietzsche, ce rapport à soi-même, aux autres et au monde... en compagnie des valeurs de patience, de lenteur, de sobriété, de sédentarité, de silence, de méditation, bref tout le contraire des normes dominantes de la globalisation techno-marchande capitaliste.

Je suis très soucieux de la transmission des savoirs, pratiques et théoriques et de toutes les formes d’actions et de réflexions collectives. C’est le sens de mon engagement, notamment à PAC, pour humblement contribuer à élever le niveau de conscience critique des citoyens par l’éducation populaire. Pour toujours citer Spinoza, je fais mienne la devise "comprendre, c’est désobéir". Mieux vaut les armes de la critique que la critique des armes...

-Vous avez siégé à la commission santé à la Chambre des représentants : quel regard portez-vous sur la gestion de la crise par la Belgique ?

Je porte un regard prudent sur la gestion publique de la crise sanitaire. Il y a, tout à la fois, un versant lumineux avec la primauté du politique, la réaffirmation du caractère essentiel de la Sécurité Sociale et de l’état providence, la santé qui prime sur l’économie, les gestes de solidarités citoyennes, la revalorisation des métiers réellement utiles, très souvent assumés par des femmes, la déconstruction des dogmes budgétaires européens, l’émergence d’un débat sur le revenu d’existence, le télétravail ou l’industrie du divertissement, ou le retour de la vie sauvage au coeur d’espaces colonisés par la démesure humaine...

Et puis, un versant plus sombre comme l’exacerbation des inégalités face au microbe, notre dépendance à l’Asie, notre addiction aux multinationales GAFAM, les féminicides, les violences sur les enfants, les conséquences tragiques de décennies d’économies dans les soins de santé, la fermeture des frontières, la mauvaise gestion des commandes des masques, des tests et des gels, la fragilité et la vulnérabilité accrue des migrants, des sans-abri, des personnes âgées et des classes populaires, le défaut d’anticipation, même si c’est un invariant de l’histoire humaine et de la politique...

Qui aurait pu prédire cet incroyable bouleversement il y a encore quelques semaines hormis quelques virologues visionnaires, donc pas écoutés et quelques collapsologues éclairés... L’humain, issu de l’évolution, a été programmé pour réagir face à des menaces abruptes et à court terme, comme l’expliquait Christan de Duve, pas pour affronter une accélération phénoménale de tous les paramètres de l’écosystème complexe de la biosphère, crises systémiques, à la fois écologique, sanitaire, sociale, politique, économique et culturelle. Un minuscule petit bout d’ARN, via une chauve-souris, un pangolin et un humain, métamorphose le monde. Revanche de l’infiniment petit aux effets incommensurables...

-Quel philosophe relire en cette période de pandémie ?

Il y a tant de penseurs à relire sans cesse tant ils sont profonds. Trois parmi les auteurs canoniques : Spinoza, Marx et Freud pour l’incroyable puissance de leurs pensées. Et, parmi les vivants, je ne me lasse jamais des textes de Régis Debray, de Cynthia Fleury, de Trinh Xuan Thuan, de Dany-Robert Dufour ou de Naomi Klein, parmi tant et tant d’autres.

-Que voyez-vous de votre fenêtre, que vous n’auriez pas remarqué précédemment ?

J’ai ressenti, accoudé à ma fenêtre, un air d’une rare pureté à Bruxelles, je me suis comme enivré d’oxygène, "l’air de la ville rendrait-il libre ?" comme on l’affirmait au siècle des Lumières, et puis je me suis enfin mis à observer les oiseaux et les insectes, à me réjouir des pousses végétales, à plus que jamais dialoguer avec mes chats.

-2021, ce sera....

2021, ce sera, je l’espère sans trop y croire, l’an 1 de la la septième révolution de l’homme, après les révolutions biologique, cognitive, agricole, morale, énergétique, et numérique... Un humain, au temps de l’Anthropocène, ni Dieu ni mutant... guidé par l’universalité, l’associativité et la complexité... Un pari pascalien adapté à notre modernité. "Les hommes font l’histoire sans savoir l’histoire qu’ils font" écrivait Karl Marx.

-Un homme ou une femme exemplaire en cette période chahutée ?

Toutes les femmes et les hommes de tous les continents qui luttent pour la dignité, la solidarité et l’émancipation de l’humain dans la préservation de la nature, face aux forces nationalistes, xénophobes, réactionnaires et prédatrices qui dominent encore aujourd’hui le monde et nos vies.

-En 2020, à qui donner le prix Nobel de la paix ? Pourquoi ?

A titre posthume, à Ignace Philippe Semmelweis, ce génial médecin qui découvrit au 19ème siècle les vertus de simplement se laver les mains... ce qui sauva des millions de terriens au cours des décennies...

 

Propos suscités par Urbain Ortmans et diffusés le 27 avril 2020.

 

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